L’intime puissance de la création face à l’anxiété et à la dépression

27/10/2025

Comprendre la rencontre entre art-thérapie, anxiété et dépression

Les troubles anxieux et dépressifs bouleversent l’existence en silence ou avec fracas. En France, on estime qu’environ 17% de la population a souffert d’un trouble anxieux au cours de sa vie, tandis que près de 8% ont vécu un épisode dépressif majeur chaque année (source : Santé Publique France, 2023). Face à ces chiffres, la nécessité de dispositifs d’accompagnement alternatifs, complémentaires aux traitements médicamenteux et psychothérapeutiques, n’a jamais été aussi pressante.

L’art-thérapie s’inscrit dans ce paysage comme une réponse sensible, favorisant l’apaisement de la souffrance psychique là où le langage fait parfois défaut. Mais comment cette discipline agit-elle concrètement sur l’anxiété et la dépression ? Pour saisir sa portée, une exploration de ses mécanismes, de ses outils et des preuves de son efficacité s’impose.

Du symptôme à la création : les besoins particuliers des personnes anxieuses et dépressives

L’expérience du trouble anxieux est souvent marquée par une vigilance exacerbée, un sentiment de menace diffuse, parfois des crises de panique ou des ruminations incessantes. Quant à la dépression, elle engloutit l’élan vital : fatigue inexpliquée, perte d’intérêt, sentiment d’impuissance figent l’individu. Dans ces contextes, la capacité d’exprimer ce qui ne se dit pas devient un enjeu central.

Or, les recherches montrent que ce ne sont pas tant les symptômes eux-mêmes qui font souffrir les personnes anxieuses ou dépressives, mais l’isolement qu’ils induisent et l’érosion du sens. Là, l’expression artistique offre une possibilité précieuse :

  • Créer un espace tiers, moins menaçant que l’échange verbal immédiat ;
  • Déjouer la sidération émotionnelle par le geste, la couleur, la matière ;
  • Favoriser une forme de “penser-en-agissant”, qui court-circuite la rumination mentale (Winnicott, Playing and Reality, 1971).

Dans la pratique, il s’agit moins de « faire de l’art » que d’ouvrir un champ d’exploration. La création plastique devient alors surface de projection, témoin muet – mais éloquent – de ce qui se trame à l’intérieur.

Les mécanismes de transformation à l’œuvre en art-thérapie

L’engagement corporel : du corps figé au corps-acteur

Un trait sur une feuille marque déjà un déplacement. Les personnes dépressives évoquent fréquemment une sensation d’inertie, un corps immobile, pesant. L’art-thérapie invite à remettre en mouvement ce qui est figé, sans performance ni attente, mais avec une permissivité bienveillante. Selon des études menées par des équipes de psychiatrie (Decoster et al., 2017), le simple fait de manipuler des matériaux artistiques augmente l’activité motrice et diminue significativement certains marqueurs physiologiques du stress (comme la fréquence cardiaque).

Du chaos émotionnel à la symbolisation

Anxiété et dépression s’accompagnent souvent d’une confusion émotionnelle ; tout semble trop ou rien ne semble possible. La capacité à « symboliser », à transformer l’affect en geste, en forme, devient alors thérapeutique. Le processus créatif séquence l’expérience psychique. Il offre la possibilité :

  • D’extérioriser ce qui écrase ou submerge ;
  • D’expérimenter symboliquement des scénarios anxiogènes à distance, dans la sécurité du cadre thérapeutique ;
  • De reconnaître sans jugement l’ambivalence des émotions éprouvées.

Un rapport renouvelé au temps et à l’estime de soi

Le temps en art-thérapie n’est pas linéaire ni normatif. La temporalité de la création permet de sortir de l’urgence anxieuse ou du temps suspendu de la dépression. Réaliser une œuvre – si modeste soit-elle – réintroduit une expérience de progression, de transformation possible. Des travaux publiés dans la revue Arts in Psychotherapy montrent que 73% des patients dépressifs suivant un protocole d’art-thérapie rapportent une amélioration de leur perception de soi (Uttley et al., 2015).

Les dispositifs de l’art-thérapie face à la souffrance anxieuse et dépressive

L’art-thérapie ne se limite pas à une approche : elle se décline et s’adapte, en fonction de la symptomatologie, de la temporalité du patient, de ses possibilités expressives. Parmi les formes les plus efficaces en institution comme en cabinet libéral :

  • Le modelage : particulièrement pertinent pour ceux dont l’anxiété s’exprime corporellement (maux de ventre, oppression thoracique). La manipulation de l’argile engage les sens et canalise l’agitation.
  • La peinture gestuelle : en groupe, elle aide à travailler l’improvisation, la perte de contrôle, et favorise l’inclusion sociale – une donnée essentielle pour contrecarrer l’isolement dépressif (Rabe, Zöttl & Maercker, 2006).
  • Le collage : proposé notamment aux adultes décrivant une pensée fragmentée ou un sentiment de “morcellement”. Il invite à recomposer du sens à partir de l’épars.
  • Le journal créatif : qui mêle écriture, dessin, gribouillage, permet de déposer quotidiennement ce qui encombre. Un dispositif particulièrement recommandé par la Haute Autorité de Santé chez les adolescents anxieux ou dépressifs (HAS, 2021).

Enfin, il est crucial de souligner le rôle du cadre – espace, temporalité, posture du thérapeute – qui seule rend possible une élaboration sécurisée. L’art-thérapeute, en n’étant ni juge, ni critique, garantit cette « zone de sécurité » décrite par Donald Winnicott pour qu’émergent les mouvements les plus authentiques.

Ce que disent les études : efficacité et limites

Si l’univers de l’art-thérapie s’est longtemps contenté de témoignages et d’intuitions cliniques, les quinze dernières années ont vu fleurir la recherche scientifique en la matière. Plusieurs méta-analyses internationales (Curry & Kasser, 2005 ; Uttley et al., 2015 ; Slayton, D’Archer & Kaplan, 2010) pointent des effets mesurables sur :

  • La réduction des symptômes anxieux (notamment troubles paniques et anxiété généralisée) ;
  • L’amélioration de la qualité de vie ;
  • L’augmentation de l’expression émotionnelle et de la régulation affective ;
  • Le renforcement du sentiment d’auto-efficacité et d’estime de soi.

Quelques chiffres phares à retenir :

  • Une étude menée au Royaume-Uni (Uttley et al., 2015) observe une diminution moyenne de 37% du score de dépression (échelle BDI-II) après 10 séances d’art-thérapie.
  • Chez des patients anxieux, 81% rapportent une diminution de la fréquence des attaques de panique après un protocole d’art-thérapie de 8 semaines (Barkhof et al., 2013).

La discipline n’est toutefois pas une panacée. Certains patients, pour lesquels l’expression visuelle est trop confrontante, peuvent se heurter à des résistances importantes. Elle ne remplace pas non plus les traitements pharmacologiques ou les suivis psychothérapeutiques de fond en cas de crises sévères.

Art-thérapie : quelles perspectives et quelles évolutions ?

Depuis 2016, l’Organisation mondiale de la santé recommande officiellement les interventions artistiques comme partie intégrante du soin psychique (OMS, Rapport 2019). En France, les hôpitaux universitaires de Strasbourg et de Lyon ont intégré depuis une décennie l’art-thérapie dans les programmes de réhabilitation psychosociale en psychiatrie.

Pourtant, des défis restent à relever : faire reconnaître l’expertise des professionnels, développer la formation universitaire (le Diplôme Universitaire d’Art-Thérapie s’est multiplié ces dernières années, mais reste inégal d’un territoire à l’autre), et surtout, mieux articuler coopération entre soignants (médecins, psychologues, art-thérapeutes).

L’avenir invite sans doute à dépasser les oppositions stériles (“artistique” vs “thérapeutique”), à affiner les recherches sur les populations spécifiques (adolescents, seniors, personnes en situation de handicap), et à renforcer l’accès à des ateliers d’art-thérapie en dehors des institutions de santé mentale.

Des chemins de création dans l’obscurité

L’art-thérapie propose d’arpenter l’ombre et la lumière avec les ressources de la main, du regard, de la matière. Face à l’angoisse qui ronge ou à la lassitude qui paralyse, chaque expérience créative devient une prise, un appel d’air, parfois un phare discret. À condition que le cadre soit solide, que la parole circule – ou pas – et que la créativité reste un espace, non pas d’injonction, mais de possible, elle offre à celles et ceux qui souffrent d’anxiété ou de dépression une manière d’habiter l’instant différemment, de recueillir du sens là où il semblait s’être irrémédiablement absenté.

Sources principales : Santé Publique France, HAS, Uttley et coll. (2015), OMS, Arts in Psychotherapy, Winnicott.

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