Quand l’art-thérapie s’impose : repérer les situations clés chez l’adulte

25/10/2025

Que soigne l’art-thérapie ? Un détour nécessaire par la clinique

L’art-thérapie, héritière d’un demi-siècle de dialogue entre psychanalyse, psychiatrie et création artistique, reste parfois mal comprise. Trop souvent, elle est évoquée comme un simple loisir ou une parenthèse créative « agréable ». Or, le soin par l’art, lorsqu’il est pratiqué dans un cadre rigoureux, vise une transformation profonde : donner forme au chaos interne, permettre l’émergence de représentations là où l’expérience psychique est informe, inaccessible ou douloureuse.

Chez l’adulte, les indications de l’art-thérapie s’affinent : certaines situations cliniques appellent plus que d’autres à recourir à la médiation plastique, gestuelle ou sonore. L’expérience clinique et les données de terrain montrent que l’art-thérapie offre des bénéfices spécifiques là où la parole ne suffit plus, ou bute contre ses propres limites.

Les troubles psychiques et les indications majeures de l’art-thérapie

Troubles anxio-dépressifs : redonner souffle au récit intérieur

Les troubles anxieux et dépressifs représentent une part majeure des motifs de recours à l’art-thérapie chez l’adulte. Le rapport de l’OMS de 2022 précise que la dépression touche 280 millions de personnes dans le monde et constitue une cause majeure de handicap. La parole y est souvent appauvrie, répétitive, « piégée » dans un cercle de ruminations.

L’acte de créer sollicite alors d’autres voies de transformation psychique, en engageant le corps et la sensorialité. Les médiations plastiques (peinture, modelage, collage, etc.) permettent d’exprimer des affects inaccessibles autrement, d’esquisser des formes symboliques là où le langage verbal se dérobe. Les études cliniques, dont celle publiée par la revue Arts in Psychotherapy (2015), mettent en valeur la diminution notable des scores anxieux et dépressifs chez des patients adultes après quelques mois d’accompagnement art-thérapeutique structuré.

Psychotraumatismes : quand la parole ne suffit plus

Les troubles post-traumatiques (ESPT) et les traumas complexes laissent souvent le sujet confronté à une mémoire fragmentée, parsemée de « trous noirs », d’images figées ou intrusives. Judith Herman (Trauma and Recovery, 1992) souligne combien, dans ces tableaux, le verbe « ne suit pas » l’expérience. L’art-thérapie devient alors un espace d’expérimentation où le vécu peut s’inscrire autrement qu’en mots : gestes, couleurs, formes, rythmes.

L’Art Therapy Trauma Group Model, développé aux États-Unis, a permis d’observer (Clouston, 2019) une réduction significative des symptômes d’hypervigilance et de dissociation chez les adultes participants, ainsi qu’une amélioration de la conscience corporelle et de l’estime de soi. L’engagement dans le processus créatif permet de recomposer la continuité psychique, d’élaborer ce qui était indicible.

Troubles psychotiques : soutenir la symbolisation

La psychose adulte se caractérise par une fragilité des limites du Moi, une confusion entre réalité et imaginaire, ainsi que par une difficulté majeure à élaborer des représentations stables et partagées. L’art-thérapie, en offrant un support concret – le papier, la terre, la toile – permet de réinventer des frontières symboliques et de différencier intérieur/extérieur.

Dans les unités psychiatriques, la médiation artistique s’intègre désormais dans les plans de soins de nombreux patients psychotiques. Une étude multicentrique française (Déri, 2019, L’Encéphale) indique que 70% des sujets psychotiques engagés dans un protocole art-thérapeutique montrent une amélioration du sentiment de cohérence interne et une moindre fréquence d’agitations ou d’idées délirantes. L’esthétique, ici, n’est jamais un but, tout est dans le processus.

Souffrances somatiques et maladies chroniques : créer malgré (ou avec) la douleur

Le corps souffrant, encombré de douleurs chroniques ou traversé par la maladie somatique lourde (cancer, maladies neurodégénératives…) se heurte souvent à la difficulté de « faire récit » de ce qui l’affecte. Les émotions, la colère, la peur, ne trouvent que difficilement leur place dans le discours médical classique. L’art-thérapie apparaît alors comme une voie détournée, mais précieuse, pour donner forme à l’expérience corporelle.

  • Douleurs chroniques : Le service de la douleur de Lariboisière (Paris) rapporte, entre 2018 et 2022, que plus de 60% de ses patients bénéficiaires de séances d’art-thérapie voyaient une baisse de la perception subjective de la douleur, mesurée sur l’échelle visuelle analogique (EVA), et un mieux-être émotionnel.
  • Oncologie : Les parcours d’art-thérapie proposés dans 22 Centres de Lutte Contre le Cancer français ont montré une augmentation significative du score de qualité de vie, mesuré par le QLQ-C30 (source : INCa, Rapport 2021).
  • Pathologies neurodégénératives : Chez des patients Alzheimer, la médiation artistique stimule les facultés mnésiques, l’attention et retarde la désafférentation sociale (étude Reminiscence Art Therapy, UK, 2017).

Dans ces contextes, il n’est pas rare d’observer la mise en mouvement d’affects jusque-là figés, une meilleure tolérance à l’incertitude et une réhabilitation du « possible » dans la subjectivité du patient.

États de crise psychique : burn-out, deuil, transitions de vie

Burn-out et épuisement professionnel : retrouver le fil de soi

Près de 480 000 personnes sont concernées par le syndrome d’épuisement professionnel en France chaque année (Dares, 2023). Le burn-out dissout les frontières psychiques, laisse le sujet sans ressources, dans un état d’« asphyxie intérieure », voire de dépersonnalisation. La capacité à verbaliser est souvent atteinte, et l’entrée en art-thérapie permet à la fois de restaurer un dialogue interne et de remettre du jeu là où tout se fige.

Dans les groupes d’art-thérapie spécialisés pour adultes en état d’épuisement, les observations cliniques montrent que l’expérimentation de nouveaux matériaux, la réappropriation du geste créatif, favorisent la reconstruction du sentiment d’agir sur sa vie et la différenciation des émotions envahissantes.

Deuils, perditions, ruptures

Le deuil, qu’il soit lié à une perte affective, professionnelle ou identitaire, est un processus rarement linéaire : il s’accompagne d’ambivalences, de sentiments de vide ou de colère, parfois de phénomènes somatiques diffus. La création plastique offre un espace où la perte peut symboliquement exister sans être immédiatement « réparée » ou niée.

  • Dans une étude menée auprès de 52 adultes endeuillés (The Arts in Psychotherapy, 2016), 78% des participants pointaient la capacité de l’atelier d’art-thérapie à soutenir l’élaboration du deuil, à travers le dialogue entre absence et présence rendu possible par l’objet artistique.
  • Il a aussi été observé que le partage d’œuvres facilite l’énonciation de la perte, là où la parole s’avère trop douloureuse ou trop abstraite.

Temps de transition et quête de sens

Au-delà des diagnostics formels, de très nombreux adultes cheminent dans des temps de transition (retraite, parentalité, migration, crise existentielle) où la question du sens – que faire de ce qui change ? – prend le pas sur la maladie elle-même. L’art-thérapie, en sollicitant la part inventive du sujet, soutient l’émergence de voies inédites pour aborder ces mutations. Il n’est pas rare que le geste artistique produise, à bas bruit, des ressources insoupçonnées et redynamise l’élan vital.

Faut-il être « artiste » pour tirer profit de l’art-thérapie ?

Non. Aucune compétence artistique préalable n’est requise. L’utilisation de médiums sensibles (argile, encres, tissus…) est ici prioritairement une invitation à expérimenter, à « faire » sans enjeu d’esthétique. De nombreux adultes, parfois inhibés par le regard social ou d’anciennes croyances (« je ne sais pas dessiner »), découvrent dans le cadre assuré de l’atelier qu’ils peuvent créer leur propre « langage » plastique. C’est la fonction expressive, pas la performance, qui importe.

Quelles limites ? Quelles précautions ?

L’art-thérapie n’est ni panacée ni « recette miracle ». Certaines pathologies sévères, ou des moments aigus de décompensation, requièrent une évaluation médicale préalable. Les contre-indications peuvent inclure : pathologies psychotiques décompensées, états confusionnels, trouble de la relation à la réalité, crise suicidaire majeure, etc. La collaboration interdisciplinaire reste de mise.

Les bénéfices de l’art-thérapie dépendent aussi du cadre et de la formation de l’art-thérapeute : une pratique clinique exigeante, une supervision régulière et une inscription institutionnelle sont nécessaires à la sécurité et à la pertinence de l’accompagnement.

Éclairages croisés : l’art-thérapie, un atelier pour l’adulte en quête de transformation

Loin de se résumer à une alternative « douce » aux traitements classiques, l’art-thérapie s’impose, dans la clinique adulte, là où la parole trouve ses limites, dans les zones grises de la souffrance psychique ou somatique, en amont ou en aval des ruptures de vie. Elle permet de renouer avec le processus de symbolisation – ce qui fait lien, sens, tissu vivant – mieux que ne le pourraient seuls les mots.

À lire et explorer :

  • Judith Herman, Trauma and Recovery
  • Z. Déri et al., « Efficacité de l’art-thérapie dans les troubles psychotiques », L’Encéphale, 2019
  • INCa, Rapport 2021 sur l’art-thérapie et le cancer
  • Clouston S., « Outcomes of Trauma Art Therapy Groups in Adults », 2019

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