Ajuster le cadre, une nécessité ? Regards croisés sur les publics
Enfance : flexibilité et fermeté, un équilibre subtil
Chez les enfants, la question du cadre se pose d’emblée comme un ajustement permanent. Selon une étude de l’INSERM (2019), près de 10 % des enfants en milieu scolaire en France présentent des troubles psychiques nécessitant un accompagnement spécifique. Dans ces contextes, le cadre n’est pas qu’une structure : il devient un repère rassurant, ponctué de rituels — la chanson qui ouvre la séance, l’ordre du rangement du matériel. Mais ce même cadre nécessite une souplesse : un enfant avec des troubles du spectre autistique n’a pas les mêmes besoins rituéliques qu’un autre vivant un trauma.
- Pour certains, le choix du médium doit être restreint afin de ne pas susciter d’angoisse par une trop grande liberté.
- Pour d’autres, au contraire, une panoplie d’outils laissés à disposition sera réparateur d’une histoire de contrôle (violence, environnement carencé).
L’observation obstinée de ces réactions engage l’art-thérapeute à être à la fois gardien du cadre et ajusteur bienveillant, comme le décrit Marie Adam dans « Du cadre à l’accompagnement en art-thérapie » (Revue L’Art-thérapie, 2022).
Adolescence : tester les limites pour se trouver
L’adolescence est le temps des passages, des remises en cause, de la recherche de maîtrise sur son environnement. Ici, la question du cadre devient même objet de la séance : quel adolescent n’a pas tenté de déplacer les horaires, contourner les règles ? C’est dans le rapport au cadre, non comme prison mais comme balise, que se joue parfois la dimension thérapeutique. Daniel Marcelli, pédopsychiatre, rappelle que « le cadre est alors un miroir du fracassement des repères internes, et l’occasion d’une réparation par l’expérience » (cf. « Adolescents : doigts d’honneur et malaises », PUF, 2014).
- Une séance trop rigoureusement menée risque d’étouffer l’expérimentation et la confrontation bienfaisantes.
- A contrario, une absence de cadre favorise l’agir, voire l’intrusion du monde extérieur parasite.
Certains dispositifs choisissent alors de négocier le cadre avec les adolescents, grâce à des contrats partagés, des temps de parole pour questionner la règle, voire transformer ponctuellement l’espace ou le temps de la séance.
Troubles psychotiques graves et états-limites : le cadre comme tuteur
Les personnes présentant des troubles psychotiques nécessitent une grande vigilance autour du cadre. La littérature clinique insiste sur la nécessité de ne pas trop moduler le contenant dans ces cas : Karine Douplitzky, dans L’Année psychanalytique internationale, 2011, souligne que trop de souplesse risque d’ouvrir la voie à l’angoisse de morcellement, à la confusion entre dedans et dehors. Ici, le défini et le répété (mêmes horaires, mêmes places, même matériel) sont gages de sécurité. L’adaptation du cadre y est minimale, même si l’observation des états de l’usager doit rester fine pour prévenir le risque de rigidification totale, qui serait tout aussi pathogène.
- Certains ateliers protègent de toute surprise : matériel prémédité, rituels immuables.
- Dans d’autres cas, une minuscule latitude (choix entre deux couleurs, déplacement dans l’atelier) suffit à relancer le sentiment de créativité tout en garantissant la sécurité.
Personnes âgées, maladie d’Alzheimer : souplesse adaptative et maintien du sens
En gériatrie, l’enjeu du cadre se renouvelle : 20 à 25 % des personnes de plus de 75 ans souffrent de troubles cognitifs en France (source : Santé publique France, 2021). Ici, il s’agit moins de fixer une règle définitive que d’accompagner le glissement des repères. Les ateliers constatent l’utilité de modifier la durée de la séance en fonction de la fatigue, de répéter l’introduction à la consigne, de simplifier le matériel, tout en préservant un noyau identitaire — la même table, les mêmes photos exposées, un rythme similaire.
- Une trop grande adaptation fait perdre le sentiment de continuité : l’identité s’effrite.
- Un cadre contraint exclut les fluctuations inhérentes à la pathologie : il faut alors inventer une malléabilité fondée sur le sens plus que sur la lettre de la règle.
Psychotraumatisme, exil, grande précarité : cadre et hospitalité psychique
Les publics marqués par l’exil, la précarité extrême ou les traumatismes sont, selon une enquête de la Fédération des acteurs de la solidarité (2022), particulièrement exposés au risque de désaffiliation et d’insécurité psychique. Dans ces ateliers, le cadre revêt une dimension d’hospitalité : être accueilli sans jugement, trouver une structure sans violence. L’ajustement constant s’invente parfois à chaque séance — adapter l’heure au rythme de la nuit, accepter l’introduction d’objets personnels, permettre, à certains, de ne participer qu’obliquement.
L’essence du cadre dans ces espaces ne réside pas dans son invariabilité, mais dans sa capacité à incarner la bienveillance non intrusive. C’est la cohérence du geste thérapeutique, plus que la rigidité des règles, qui sert de repère.