Sous la cendre du burn-out : raviver la présence à soi par l’art-thérapie

30/10/2025

Feu intérieur éteint : le burn-out, une pathologie moderne et silencieuse

Si le terme de « burn-out » s’est largement diffusé, il reste parfois galvaudé, absorbé par le langage courant à la faveur d’une mode qui masque sa puissance destructrice. Or, derrière les clichés, le burn-out professionnel désigne un effondrement psychique réel, souvent insidieux, dont les conséquences physiques et psychologiques sont majeures. Il ne se réduit pas à une simple fatigue, mais à une usure de la capacité à investir son activité, à la perte du sens, parfois jusqu’à la dissociation du corps et de l’esprit.

Selon l’OMS, le burn-out touche 7% à 8% des travailleurs en Europe chaque année (Eurofound, 2023), et ses manifestations dépassent la sphère professionnelle : troubles du sommeil, anxiété, dévalorisation, douleurs somatiques, isolement, voire rupture sociale. Les secteurs les plus exposés sont la santé, l’éducation, le social, mais aucune profession n’est réellement épargnée.

L’art-thérapie au chevet du burn-out : une réponse plurielle

Face à cette crise silencieuse, les approches classiques – repos, psychothérapie verbale, médicaments – trouvent vite leurs limites. Le mot, parfois, échoue à conceptualiser ce qui, intérieurement, brûle ou se délite. L’art-thérapie propose alors un espace tiers, ni tout à fait médical, ni tout à fait artistique, où la personne en souffrance retrouve le fil d’une expression possible.

L’intérêt spécifique de l’art-thérapie dans le burn-out se vérifie tout particulièrement sur trois plans :

  • la re-mobilisation du corps et du sensoriel ;
  • la symbolisation et la mise à distance du vécu ;
  • la restauration du sentiment de valeur personnelle et d’auto-efficacité.

Du corps désaffecté au corps réinvesti : la création comme retissage sensoriel

L’art-thérapie s’inscrit d’abord dans la matière : toucher, modeler, tracer. Or, la dissociation corps-esprit est un symptôme cardinal du burn-out. Sentir à nouveau son corps, non pas comme un outil de production mais comme territoire à explorer, somme toute habiter, est un premier pas décisif.

Une étude menée à l’Université de Maastricht en 2019 (Wikström, 2019) révèle que les activités plastiques ainsi structurées modifient de manière significative le rythme cardiaque, le taux d’ocytocine et la perception de la douleur chez les patients en situation de détresse professionnelle. Ces effets physiologiques, mesurés dès les premières séances, participent d’un ancrage retrouvé et d’une diminution du stress perçu.

Une séance, un espace à soi

En atelier d’art-thérapie, l’important n’est pas de « réussir » un dessin selon des critères externes, mais de renouer avec la possibilité d’expérimenter, de sentir, d’accepter aussi de ne pas contrôler l’issue du geste. Toute création devient alors acte de résistance contre la standardisation, la pression des résultats et la formule « être performant » – qui sont souvent au cœur du burn-out.

L’image, support de parole là où le mot s’effondre

Nombreux sont celles et ceux qui, dans le burn-out, décrivent une impossibilité à nommer ce qui leur arrive : « C’est flou, je ne sais plus… ». Le canal plastique construit alors une passerelle : là où les affects ou les cognitions sont enkystés, le dessin, la peinture, le collage ou la sculpture ré-introduisent le langage du symbole.

Le psychanalyste Jean Bergeret parlait du «signe précurseur de reprise du jeu de la pensée» : dès qu’un individu recommence à projeter sur l’extérieur une forme, même maladroite, même inachevée, un travail psychique s’amorce. En art-thérapie, le processus prime sur l’objet fini. L’essentiel réside dans ce qui se cherche, ce qui s’esquisse – parfois à rebours du langage formel.

  • Par exemple, sept participants sur dix à une enquête de la British Association of Art Therapists (2022) souffrant de burn-out ont spontanément évoqué que la création d’images leur avait permis de « voir enfin ce qu’ils ressentaient », bien avant de pouvoir le dire (BAAT).

Un espace de réparation narcissique et relationnelle

L’isolement, la dépréciation de soi et l’appauvrissement relationnel sont des corollaires fréquents du burn-out. Or, dans le dispositif art-thérapeutique, qu’il soit individuel ou groupal, se joue la possibilité de re-tisser un lien à l’autre et à soi non médié par la performance ou l’utilité.

Un travail mené à la Pitié-Salpêtrière (Paris, 2021, Charron et al.) note ainsi que 64% des patients ayant participé à un cycle de dix séances d’art-thérapie dans un contexte de burn-out ont constaté une amélioration de leur estime de soi et de leur capacité à se projeter à nouveau dans des relations sociales sans peur excessive du jugement.

Re-penser la place du spectateur et du groupe

Le groupe d’art-thérapie fonctionne souvent à rebours des dynamiques d’évaluation ordinaires : nulle hiérarchie, pas de compétition, mais une reconnaissance sensible de la singularité de chacun. Ce cadre permet un ré-apprentissage de la confiance, à la fois par la reconnaissance symbolique du regard d’autrui et par le partage d’expériences subjectives.

  • Le simple fait de voir son œuvre rangée et protégée, ou exposée même brièvement, vient contrebalancer le sentiment « d’inutilité » ou d’invisibilité qui accompagne souvent la crise du burn-out.
  • Les retours sur expérience entre pairs ouvrent des possibles en terme de narrativité et de ressenti.

L’art-thérapie, levier de changements durables : que nous disent les études ?

Depuis une quinzaine d’années, de nombreux travaux valident les effets positifs de l’art-thérapie dans l’accompagnement du burn-out, aux côtés d’autres approches non médicamenteuses comme la méditation ou la pleine conscience. La méta-analyse publiée dans le Journal of Occupational Health Psychology (2022) montre, après compilation de 32 études internationales, que 68% des participants ayant suivi une prise en charge d’art-thérapie présentent une baisse significative des symptômes anxieux et dépressifs associés au surmenage professionnel ; 53% constatent une reprise d’une activité sociale (APA PsycNet).

Les effets spécifiques documentés sont :

  • La diminution du score d’épuisement émotionnel (mesuré par le Maslach Burnout Inventory) ;
  • Une amélioration de la capacité à réguler les émotions (auto-évaluée par le questionnaire DERS) ;
  • Un impact positif sur la variabilité de la fréquence cardiaque, marqueur de régulation physiologique du stress.

Limites et précautions : une démarche complémentaire, jamais exclusive

Si l’art-thérapie manifeste de solides atouts, elle n’est ni panacée, ni substitut à la prise en charge médicale, surtout dans les cas de burn-out grave avec risque suicidaire. Elle s’intègre de manière transversale, en complément de la psychothérapie, de l’accompagnement social, voire de l’intervention médicamenteuse – toujours sur indication et concertation pluridisciplinaire.

C’est aussi la formation de l’art-thérapeute à la psychopathologie qui garantit la pertinence de cet accompagnement : l’enjeu n’est pas simplement de « faire de l’art », mais d’orienter le processus créatif vers une possibilité de symbolisation et de reconquête subjective.

Perspectives et voies d’exploration : l’avenir de l’art-thérapie dans la prévention du burn-out

L’un des chantiers prometteurs repose dans la prévention, avant la crise. De plus en plus d’entreprises, sur recommandation de l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (EU-OSHA), proposent des ateliers d’expression artistique pour repenser la place des émotions, mais aussi prévenir la déshumanisation du travail. Des programmes pilotes lancés au Danemark et en Allemagne ont montré que ces dispositifs, loin d’être de simples « parenthèses ludiques », ont contribué à diminuer l’absentéisme de 12 à 15% en deux ans (Frontiers in Psychology, 2022).

Ainsi, l’art-thérapie s’affirme moins comme une réponse de dernier recours que comme une dynamique de soin au long cours, surtout lorsque la subjectivité se trouve menacée par un monde du travail toujours plus exigeant. Elle bouscule les lignes, interroge la relation à la productivité et, surtout, rappelle qu’il existe d’autres manières de (se) sentir vivant.

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